Var-Matin – 27/03/2016
Patrick Ramaël : les juges ont besoin de courage
Le premier juge à avoir perquisitionné l’Élysée participait hier à Toulon au salon « Livres et droit ». Patrick Ramaël décrit le quotidien de son métier dans Hors procédure
27 mars 2016, PROPOS RECUEILLIS PAR ERIC MARMOTTANS emarmottans@nicematin.fr
Ce n’est pas tous les jours qu’on a l’occasion de faire parler un magistrat en exercice – autre que le très médiatique Marc Trévidic – du métier de juge d’instruction. Patrick Ramaël, invité hier du très réussi salon «Livres et droit», est celui qui est parvenu, entre autres crimes de lèse-majesté, à s’incruster à l’Élysée pour saisir un dossier, ou encore à auditionner l’épouse d’un chef d’État africain dans des conditions ubuesques. Dans son livre « Hors procédure », paru chez Calmann-Lévy, le juge impertinent décrit « le quotidien d’un cabinet d’instruction, l’ordinaire et l’extraordinaire ». Selon ce magistrat, si l’indépendance de juges est gravée dans le marbre, elle requiert néanmoins du courage pour ne pas céder aux pressions des pouvoirs, mais aussi de l’opinion.
Vous décrivez les stratégies utilisées pour contourner les obstacles dans vos enquêtes… La recherche de la vérité justifie-t-elle tous les moyens?
Bien sûr, on ne peut pas utiliser tous les moyens. La seule limite, c’est le cadre légal.
Les écoutes téléphoniques font débat. Des magistrats sont-ils réticents à ce procédé? L’exemple du livre remonte au début des écoutes téléphoniques. Il y avait un magistrat qui avait dit que c’était comme écouter aux portes. Aujourd’hui, plus personne ne soutiendrait que c’est un moyen dont on peut se passer. Mais il y a toujours un principe de proportionnalité : ce sont des moyens que l’on réserve à la criminalité ou à la délinquance organisée.
Vous relatez l’histoire d’une juge d’instruction qui renonce à demander l’incarcération d’un suspect, sous la pression d’un procureur. L’indépendance du juge d’instruction n’est qu’un idéal?
Le juge a les moyens d’être indépendant, c’est une garantie statutaire. Encore faut-il qu’il en ait envie. Certaines affaires vont vous attirer plus d’ennuis que d’avantages, mais le juge d’instruction est là pour chercher la vérité. Quand on prend une décision, il y a toujours un environnement, il faut être indépendant des parties, de l’opinion publique et pas seulement du pouvoir politique et de la hiérarchie.
Dans quel dossier international vous a-t-on le plus mis de bâtons dans les roues?
Dans les deux affaires que j’évoque dans mon livre (l’assassinat de Mehdi Ben Barka et la disparition de Guy-André Kieffer, Ndlr). L’intérêt d’un État dans une affaire d’État n’est pas d’obtenir la vérité, c’est de maintenir un équilibre international, de ne pas se fâcher avec des pays étrangers. C’est compréhensible, on ne fait pas le même métier. Le juge d’instruction par son action, par moments, peut contrarier ces intérêts diplomatiques parce qu’il met en cause des hautes personnalités. Il y a une logique institutionnelle.
L’enlisement apparent de l’affaire Ben Barka n’est-il pas la preuve que la raison d’État est plus forte que la justice?
Tout ce que je pouvais dire sur cette affaire est dans le livre. Mais il suffit de regarder dans l’Histoire, y compris récente, pour voir que lorsque l’on se heurte à des intérêts étatiques, ça ne facilite pas l’éclatement de la vérité
Votre livre a été écrit en réaction à l’idée de suppression de la fonction de juge d’instruction. Le renforcement envisagé des pouvoirs des procureurs ne constitue-t-il pas une nouvelle menace?
Nicolas Sarkozy voulait supprimer le juge d’instruction en tant que tel, sans changer le système. Il n’y avait plus d’indépendance de l’enquête. Dans certaines affaires, le fait de savoir qu’un juge indépendant va enquêter, va établir des faits, c’est de nature à rassurer le concitoyen. C’est une garantie démocratique.
Vous plaidez pour la collégialité de l’instruction. L’idée semble consensuelle, pourquoi ne se concrétise-t-elle pas?
On est toujours meilleur à plusieurs, ce n’est jamais bien de personnaliser pour prendre des décisions. S’il y avait trois juges pour tous les dossiers, cela assurerait une meilleure continuité dans le suivi des affaires. Cela résoudrait aussi le problème du manque d’expérience des juges qui débutent, cela permettrait une meilleure transmission. Si cela ne s’est toujours pas fait, je pense que c’est une question de moyens.
Vous décrivez le quotidien d’un cabinet d’instruction avec passion. Vous vous épanouissez à votre poste actuel?
Il y avait la règle des dix ans, il fallait que je quitte mon cabinet à Paris. Il n’est pas exclu que je sois à nouveau juge d’instruction la prochaine fois. Ça n’est pas quelque chose à laquelle j’ai renoncé, je garde toujours une envie d’exercer ces fonctions qui sont prenantes, intéressantes. Quand vous êtes juge d’instruction, vous agissez vraiment comme un directeur d’enquête, on crée des équipes, on les administre, on est le patron de la police judiciaire. Et puis, il y a ce contact humain, on voit les auteurs, les victimes, les experts, les enquêteurs… C’est une fonction très riche et diversifiée.